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Le 13 avril, un poète de 90 ans est mort. Il s’appelait Bernard Noël. Pour moi, il était sans âge, c’est-à-dire qu’il les avait tous. Il avait l’âge de Georges Bataille, qui l’a orienté, de l’action contre la guerre d’Algérie, qu’il a menée, du corps en lutte et en fusion perpétuelles avec le langage. Il avait l’âge de l’enfant qui chaque jour ¬découvre ce langage, et l’âge du vieillard qui chaque jour le perd. Il avait l’âge de la révolution et de la frustration permanentes produites par le fait d’écrire comme on vit et de vivre comme on écrit. C’est comme ça, avec les poètes : ils ont l’âge qu’on croit avoir, ou qu’on sent, tandis qu’on les lit ; et cet âge, toujours en mouvement, contribue à définir et à troubler ceux de nos propres vies . Les poètes sont une minorité qu’on écoute peu, puisque leur écoute est silencieuse dans un monde qui l’est si peu. Autre constat que, pour le vivre intimement, je partage politiquement : « Pour décrire cette inflation verbale, qui ruine la communication à l’intérieur de la collectivité, j’ai tenté de fabriquer un mot : le mot SENSURE avec un S initial. La Sensure est bien entendu la privation de sens. Le culte actuel de l’information raffine cette privation, car l’information fait semblant de tout nous dire. Ce tout appauvrit en réalité notre savoir en émoussant notre curiosité, notre intelligence de la relation » (L’Outrage aux mots, éd. P.O.L, 2011). Ainsi s’exprimait Philippe Lançon à propos de Bernard Noël dans un superbe article qu’il lui consacrait dans Charlie-Hebdo. Bernard Noël avait participé avec enthousiasme à la soirée de poésie Voix d'auteurs que nous avions organisée à la Maison de la Bellone en 2011.On le retrouve aussi dans un montage d'archives collectées par la Sonuma.